29 octobre 2011

Enigmes, puzzles, Indy et les autres

Etant, vous l'aurez sans doute compris depuis un moment, un vieux joueur d'ordinateur, j'ai toujours eu des goûts de joueur d'ordinateur. Parmi mes premiers jeux Atari ST trônaient trois disquettes flanquées d'un titre interminable mais ô combien excitant : Indiana Jones and the Last Crusade the Graphic Adventure. Je n'entravais rien à l'anglais la première fois que j'ai empoigné ces petites choses mais Indy, je savais parfaitement qui c'était. Le jeu, lui, était fort heureusement traduit en français.
Par la suite, je me suis essayé à tous les Lucas Arts (un peu par hasard, d'ailleurs, j'accordais peu d'importance aux noms derrière les jeux à l'époque) et à un jeu qui marqua vraiment ma jeunesse de joueur : Beneath a Steel Sky (encore un titre anglais pour un jeu en français). J'aimais énormément les Monkey Island, j'ai passé des heures sur Discworld et Simon the Sorcerer est un des personnages phares de mon imaginaire vidéoludique, mais les blagues de pixels et le non-sens britannique ont toujours moins retenu mon attention qu'une bonne histoire au premier degré, sans tentative de briser le quatrième mur. Plus tard, Blade Runner et les Chevaliers de Baphomet (par le même studio que Beneath) cimenteront cet état de fait.

Je pense ne pas avoir besoin de revenir sur les années 90 et l'âge d'or du point'n click. Avec le Burtonnien Grim Fandango et le terriblement décevant Escape from Monkey Island vinrent la fin du "grand" Lucas Arts et le début d'un inexorable déclin du jeu d'aventure. La 2D ne fait plus recette (ces deux jeux en sont d'ailleurs les premiers témoins : ils sont en 3D) et l'évolution est difficile (Simon the Sorcerer 3D ?). Les Syberia et les Runaway montreront la marche à suivre mais finalement peu de jeux rejoindront les archi-connus des 90's. D'ailleurs, s'il m'est impossible de faire abstraction de la qualité de Runaway, le ton général et la trame scénaristique m'ont toujours laissé particulièrement froid.



Still Life, par exemple, est un archétype de point' click de la première moitié des années 2000.
Le jeu vous place dans la peau de Victoria McPherson, jeune recrue du FBI qui enquête sur un étrange tueur en série. On débarque alors que notre homme vient de faire sa cinquième victime, découvrant en quelques minutes les alliés de la demoiselle et les méfaits précédents de sa proie.

Tout au long d'un examen de scène de crime en forme de simili-didactitiel ultra dirigiste, une chose frappe : c'est beau. Le jeu se déroule sur une succession de tableaux aux angles de caméras fixes rappelant vite les ambiances horrifiques d'un Alone in the Dark et les décors sont en 3D précalculée, le tout restant d'une finesse fort appréciable. Ce n'est pas franchement une surprise de la part de Microids, déjà auteur des splendides Syberia. D'ailleurs, tout comme dans Syberia, la beauté vient avec son cortège de défauts.
Les personnages sont assez grossièrement animés, leurs attitudes sont caricaturales au possible et les premières minutes de jeu ne sont sauvées que par les deux énormes points forts du titre : son ambiance et un doublage d'excellente facture.... plombés par d'infâmes répliques hors sujet et complètement à côté de la plaque manifestement écrites pour "combler le vide".

Profitant du précalculé, Microids s'est en fait essentiellement attaché à créer de superbes effets de lumière et à offrir un cachet particulier à chaque lieu, oubliant de travailler le gameplay : on a affaire à un copier-coller pur et simple de Syberia, pas mauvais au demeurant mais loin d'être pratique. Il est par exemple dommage de devoir stopper le jeu pour accéder à l'inventaire, par ailleurs très rigide et nous obligeant à nous approcher au maximum de sa cible pour réaliser une action. C'est raide et ça a tôt fait d'agacer, surtout lorsque l'on est habitué aux Blade Runner et aux Baphomet aux systemes automatisés avec des "petites bulles".
Le curseur quant à lui est assez massif, pour ne pas dire moche, mais de fait très lisible, ce qui plaira sans doute aux myopes.

J'avais un souvenir plutôt positif de mon premier passage sur le jeu à sa sortie en 2005. Y rejouer aujourd'hui fait d'autant plus ressortir ses défauts. J'ai surtout été frappé par la rigidité du truc. Une raideur qui sera accentuée par sa suite, en 2009, qui s'offrira en bonus le luxe d'un scénario exécrable qui, dans ses incohérence et la qualité toute relative de ses énigmes, a ravivé le souvenir d'un Secret Files indigent.


2006 marque le début du développement d'un impressionnant marché allemand sous l'impulsion de l'éditeur/développeur Deep Silver. Secret Files, leur premier jeu, m'a fait hurler contre une réalisation terriblement froide et des énigmes ridicules.

Graphiquement, c'est fin et travaillé (on est en 2006), les décors en 2D sont très détaillés et les modèles 3D loin d'être honteux, mais c'est raide et fade. Les couleurs sont ternes et le character-design est plat au possible. Le doublage manque également cruellement de punch, sans compter combien la voix de l'héroïne peut être agaçante.

Le scénario n'a rien d'original : dans la peau de Nina, on se lancera à la poursuite des ravisseurs de son scientifique de paternel, kidnappé pour travailler de force dans une base militaire secrète. Si j'ajoute que ça se passe entre l'Allemagne et la Siberie et que la base en question est donc russe, vous comprendrez qu'on peut fermer un oeil sans perdre le fil de l'histoire un seul instant. Pour varier les plaisirs, néanmoins, et comme c'est de rigueur dans les jeux des années 2000 (point'n click ou pas) on incarnera par endroits un second héros en la personne de Max, jeune collègue du papa, et on pourra également aller faire un tour dans d'autres pays méchamment communistes comme Cuba ou la Chine. Pour peu, on dirait presque que le jeu a été fait par des américains.

Le gameplay est tout aussi classique, avec un curseur aussi pratique que moche et, surtout, une progression régressiste à base d'innombrables aller-retour. Mieux encore, les énigmes de Secret Files sont complètement débiles ! J'ai bouclé la moitié du jeu en résolvant tout au hasard complet, en essayant toutes les combinaisons d'objets possibles pour résoudre des situations trop souvent ridicules... Quelques exemples :
La petite Lisa (vous remarquerez l'extreme recherche des scénaristes en ce qui concerne les prénoms de leurs personnages) a crevé le pneu de son vélo. Pour réparer tout ça, il vous faudra gonfler la chambre à air et la plonger dans l'eau pour trouver la fuite (jusque là rien de bien illogique, mais le nombre hallucinant d'actions et le va-et-vient incessant auquel il oblige le joueur était-il vraiment nécessaire ?). Une fois l'origine du mal déterminée, un gant de vaisselle enduit de colle vous servira de rustine. Carrément.
Mais c'est pas la pire : un peu plus loin, il faudra scotcher son téléphone portable au dos d'un chat pour qu'il puisse enregistrer une conversation... Comment ? On lui file un bout de pizza au thon pour qu'il se tienne tranquille, on le transforme en GSM à pattes, et on vide ensuite une salière sur la pizza sous-marine pour assoiffer le matou, qu'il aille boire à l'interieur de la maison. Pour le récupérer, c'est tout simple (huhuhu) : on va dans la cabine téléphonique juste devant la maison pour faire vibrer le portable. Le félin bondit alors de la chatière comme un dératé et s'en va se cacher sur une branche, y déposant le téléphone. En bas, on utilisera avec un sens de la déduction tout colombesque la anse d'un seau pour tenir un sac plastique ouvert, attachant le tout au bout d'un manche de pelle pour en faire une épuisette.
Vous trouvez ça con ? Moi aussi, mais rassurez-vous, on n'est qu'au début du jeu, on joue depuis moins d'une heure et on est encore à Berlin. Une fois en Russie, vous devrez faire bien pire. Dégripper un cric rouillé avec une tartine beurrée ou pêcher au briquet par exemple...

Comme je l'ai dit plus haut, le plus gros défaut de ces énigmes ridicules c'est qu'on est souvent réduit à les résoudre au pif complet, en cliquant partout et sur tout... Même les énigmes sans queue ni tête des premiers Simon ou les jeux de mots ratés par la traduction française de Monkey Island 2 (le coup du "pump monkey") sont moins crétines. Et au moins elles sont drôles.

Deep Silver (le développeur) réalisa par la suite d'autres jeux en demi teinte parmi lesquels deux innommables suite à Secret Files et l'étrange A New Beginning dont le style bande-dessiné pas toujours des plus réussi cache très difficilement les failles scénaristiques. Heureusement, Deep Silver (l'éditeur) a aussi mis des billes dans le projet un peu fou de BrainGame, un petit développeur teton : adapter Perry Rhodan. Le jeu, sorti en 2008, est tout simplement le meilleur point'n click des années 2000 d'après moi. En parallèle (et toujours en Allemagne), les petits gars de Silver Style ont ramené Simon the Sorcerer à la vie pour deux jeux relativement moyens.

Toutefois, la porte est ouverte et on voit fleurir pas mal de petites productions de qualités diverses mais que la critique saluera bien souvent. A Vampyre Story et So Blonde défendront des couleurs cartoon tandis que les polonais de City Interactive, spécialistes du FPS budget, accumuleront les suites pour deux séries fort sympathiques : Art of Murder et Chronicles of Mystery. On notera encore (et surtout) le retour de Sam & Max sous la houlette des anglais de Telltale.

C'est d'ailleurs du succès des épisodes de Sam & Max (trois "saisons" à ce jour) que semble provenir la majeure partie des productions des années 2010 et 2011. L'explosion du marché indépendant et du dématérialisé à en effet permis à de nombreux développeurs de sortir leurs jeux avec un budget dérisoire comme l'étonnant Machinarium ou, plus récemment, le résolument old-school Gemini Rue.


Graphiquement rempli de pixels, Gemini Rue est un titre indé "moderne" par excellence : gameplay simplifié et arguments de vente sur son atmosphère (voyez Limbo, par exemple). J'ai, pour être tout à fait honnête, beaucoup de mal avec ce type de production minimaliste et tape à l'oeil (aussi bien dans la veine old-school que dans le bloomofloutage à outrance d'un Frozen Synapse). Pourtant, il a réussi à me passionner.

Le style graphique n'est pas sans m'être reminiscent de Beneath a Steel Sky et, pour mon moi inatentif du XXIème siècle, le jeu est aussi court (six heures en bloquant un peu sur certains puzzles) que diversifié (on aura droit à quelques phases de tir et à beaucoup d'infiltration). Gemini Rue est un polar noir sauce Blade Runner en SVGA de l'an 2011. Ca fait vibrer ma fibre nostalgique et en plus c'est bien foutu : hyper linéaire, on avance dans cette aventure à toute allure. Chose appreciable, les puzzles sont aussi classiques que COHERENTS, ce qui me semblait jusqu'alors incompatible avec les méthodes de développement des point'n click modernes. En même temps, Gemini Rue n'est pas un point'n click moderne. Il y a même encore par moment de ces tableaux purement gratuits et contemplatifs dans lesquels il ne faut strictement rien faire, placés là pour l'amour du pixel.

Le jeu n'est toutefois pas dépourvu de surprises et quelques singularités de gameplay surprendront par endroits. On pourra par exemple planquer des objets sous des cadavres pour ne pas qu'on nous les vole. Pour se permettre ces petites folies, il faut néanmoins s'habituer à une interface pas toujours très claire et à un mapping de touche confus : on devra tirer, manipuler des objets et faire un tas de choses qui demanderont l'aide de touches particulières du clavier. Un coup à prendre, certes,  mais tout ça n'est pas bien ergonomique.

La qualité principale de Gemini Rue, c'est une fois le jeu terminé qu'on le rescent : cette histoire, on la vit, sans jamais en sortir, quasiment d'une traite (c'est court, disais-je).

La grande histoire du point'n click, elle, continue et pas plus tard qu'aujourd'hui, j'ai eu le plaisir tout relatif de m'essayer à The Book Of Unwritten Tales.


Développé par les allemands (évidemment) de King Art, Unwritten Tales est un "meta-game" et vendu comme tel : il s'agit de se moquer des autres point'n click et de leurs sources d'inspirations, en l'occurence ici la fantasy au sens large.

Techniquement, le jeu est très réussi (même s'il pleure après un antialias digne de ce nom) et c'est surtout dans sa trame et ses dialogues qu'on aura le plus de mal à trouver son compte. S'il part de l'idée simple et décidemment vendeuse de se moquer de lui même, ce jeu d'aventure oublie en fait bien vite d'en être un pour se contenter d'aligner les sketches futiles et mal écrits, à l'image de la rencontre entre l'un des héroes et un bison-shaman qui rappelera quelque chose aux joueurs de WoW.

L'architecture même des enigmes est à s'arracher les cheveux. On aura par exemple à trouver des champignons violets à pois verts dans un puzzle apparament évident : on a de la peinture et des champignons blancs dans l'inventaire. Mais non, lorsqu'on essaie de combiner tout ça, le personnage nous demande le plus simplement du monde “Why would I want to do that ?” Tournant en rond quelques instants, je parle finalement à un personnage qui me donne l'astuce et, miracle, je peux maintenant peinturtlurer mes sporophores.
Ou pire : il y a un champ de pièces d'or. Impossible d'en ramasser et, comme de bien entendu, j'en ai besoin pour un autre puzzle. Au milieu du champ, un coffre. Dur à ouvrir, évidemment. Après une demi heure à me tapper la tête sur les murs, je parviens à ouvrir le coffre. Ce qu'il y a dedans ? Mais des pièces d'or, pardi !

J'ai lu nombre d'articles il y a cinq ans sur combien Secret Files était "exceptionnel". J'en lis au moins autant aujourd'hui sur la "qualité indéniable" du Book of Unwritten Tales.

...Et j'ai peur.

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